Nous nous intéresserons ici à la Pragmatique (au Comment) de la communication interpersonnelle telle qu'elle a été étudiée et modélisée par l'école nord-américaine de Palo Alto sous l'impulsion du Professeur Paul Watzlawick. Nous montrerons en quoi cette façon de considérer le comportement de deux individus qui communiquent relève d'une approche complexe, où la circularité et la rétroactivité des échanges fait place à une causalité linéaire.
Nous partirons du postulat que lorsqu'une communication entre deux personnes est établie, il n'y a plus ni commencement ni fin, mais un modèle circulaire d'échanges, dont ni l'un ni l'autre des interlocuteurs n'a la prééminence. La communication sera considérée alors comme système d'interactions en marche, et, à l'extrême, certains ont pu dire que : "On ne communique pas, mais on prend part à une communication."
Partant des modèles mathématiques de la théorie des groupes et des types logiques pour expliquer les différents types de changements et leurs implications dans le comportement humain, les auteurs en ont déduit cinq axiomes de base qui gouvernent toute communication.
Démonstration : si l'on prend comme exemple de communication le comportement humain, alors on peut dire que le comportement n'a pas de contraire, ce qui revient à dire qu'on ne peut pas ne pas avoir de comportement. Si le comportement existe, alors il a valeur de message, et tout message a valeur de communication. Donc, on ne peut pas ne pas communiquer. CQFD.
Tout message transmet une information mais induit également un comportement. Toute interaction suppose un engagement et définit par suite une relation. L'information, c'est le contenu de la communication : elle a valeur d'indice. La relation, c'est la manière dont on doit entendre le contenu : elle a valeur d'ordre. La relation est donc une communication sur la communication ou une méta-communication.
Une relation saine est spontanée et donne priorité aux messages, donc au contenu. Une relation perturbée ou malade est une relation qui pose problème et parasite le contenu qui passe en arrière plan et finit par perdre toute importance.
De l'extérieur, une interaction peut être considérée comme un échange ininterrompu d'échanges de messages, mais, de l'intérieur, chacun ponctue ces messages à sa façon. Le problème en jeu est donc un problème de dépendance, de prééminence ou d'initiative.
Il existe foule de conventions culturelles admises qui structurent notre vie sociale, avec de telles ponctuations. Dans la vie de tous les jours, on parle de leader, de suiveur, mais qui commence, et que deviendrait l'un sans l'autre?.
Exemple : Monsieur Boit et Madame Crie
Monsieur a tendance qu'à ne voir que la hargne de Madame : il boit donc en conséquence; Madame à ne voir que la beuverie de Monsieur : elle crie. Ils ne ponctuent pas leurs échanges de la même façon. Ils ont surtout des difficultés à parler de leur relation, à méta-communiquer. Leurs communications s'organisent en dents de scie.
Le langage digital possède une syntaxe logique très complexe et très commode mais manque d'une sémantique appropriée à la relation. Par contre, le langage analogique possède bien la sémantique mais non la syntaxe appropriée à la définition non équivoque de la relation.
La communication digitale est de nature symbolique. Ces symboles sont les mots que l'on emploie pour désigner les choses, mots qui relèvent d'une convention sémantique propre à une langue donnée. La communication digitale possède une syntaxe logique souple, précise et pratique, qui se prête facilement à l'abstraction. Elle définit le contenu de la relation
Par contre, toute communication non verbale est une communication de nature analogique. C'est une communication primitive et animale, riche de sens et directement compréhensible même entre espèces différentes. L'expression de nos sentiments, qui est la base de nos relations interpersonnelles, est un exemple de communication analogique. Il est, de plus, difficile de mentir dans le domaine analogique.
La communication analogique définit la relation. Elle est très intuitive et signifiante mais manque de souplesse, et peut s'avérer ambiguë par manque de discriminant. Par exemple, les larmes peuvent exprimer la joie ou la peine, tout dépendra du contexte. Elle manque aussi d'indices et de fonctions logiques, comme les fonctions " ou bien... ou bien", "si... alors", et plus encore, elle ne sait pas exprimer la négation. On ne peut nier une émotion ou un sentiment, on ne peut que le vivre. Pour lever dans certains cas l'ambiguïté propre à ce mode de communication, il faut le traduire, c'est-à-dire passer de l'analogique au digital, ou encore parler sur la relation, c'est-à-dire méta-communiquer. Naturellement, cette traduction, comme toute traduction, soulève le problème de la distorsion et de la perte d'information.
Une relation symétrique est une relation d'égalité qui minimise la différence.
Une relation complémentaire, au contraire, maximise la différence, avec deux positions, l'une est dite haute, l'autre basse. Chacun toutefois se comporte d'une manière qui présuppose et en même temps justifie le comportement de l'autre.
Exemples de relations complémentaires : les couples mère-enfant, médecin-patient, professeur- élève. Symétrie et complémentarité sont les concepts de base de l'analyse transactionnelle et renvoient naturellement à l'antagonisme et à la complémentarité de l'approche complexe.
Toute interaction tend à définir la relation entre deux individus X et Y comme complémentaire ou symétrique. Chacun propose implicitement ou ouvertement une définition de soi (et de l'autre). Si le prototype de la meta-communication de X est : "Voici comment je me vois", Y pourra y réagir de plusieurs façons :
"Vous avez raison" ===> Vérité
Y peut confirmer le définition que X donne de lui-même. La communication a le pouvoir de confirmer un être dans son identité. C'est là un facteur extrêmement important et signifiant de maturation et de stabilité psychique. L'homme a besoin de communiquer avec ses semblables pour parvenir à la conscience de lui-même, et, la plupart de nos relations n'ont d'autre but que d'éprouver toute la richesse de nos sentiments et de nos capacités relationnelles.
Les recherches menées sur la privation sensorielle ont montré l'incapacité qu'a l'être humain de préserver sa stabilité affective et mentale lors d'isolement total prolongé où il n'a comme seul recours et interlocuteur que lui-même.
"Euh.... Je crois bien qu'il est vrai que cela ne soit pas faux..." ===> confusion, langue de bois
Y peut vouloir éviter l'engagement avec X et se montrer confus, incohérent, ou donner le change en parlant pour ne rien dire.
D'une manière générale, les hommes politiques et les technocrates savent manier avec dextérité ce type de communication qu'on a appelé langue de bois, pour éviter de se laisser enfermer dans des questions pièges ou embarrassantes auxquelles ils ne manquent pas d'être journellement confrontés.
"Excusez moi, j'ai mal à la tête" ===> Message non verbal
Y peut vouloir éviter l'engagement en prétextant une incapacité physique, réelle ou simulée, comme un besoin irrépressible de sommeil (avec moult bâillements), l'ignorance de la langue (lors de voyages à l'étranger), ou tout autre infirmité dont il ne peut se défendre, comme par exemple une migraine soudaine, ou un mal au ventre.
Ce type de communication est bien connu des enseignants avec certains élèves qui ont tendance à l'utiliser habituellement comme moyen d'excuse, et dont d'ailleurs ni les uns ni les autres ne sont dupes. Elle dénote une volonté plus ou moins consciente de masquer la vérité, une difficulté réelle ou une impossibilité à exprimer une saine et véritable communication.
Si cette méta-communication est réellement bloquée, ce mode d'expression symptomatique peut devenir réellement pathologique, face à certaines situations vécues comme stressantes ou traumatisantes, et conduit en général à des manifestations psychosomatiques ou hystériques. A ce sujet, le film d'Hitchcok, "Pas de printemps pour Marnie" (Tippi Hedren - Sean Connery) en est un excellent exemple cinématographique.
"Vous avez tort" ===> Négation, Fausseté
Y peut réagir à la définition que X donne de lui même par un rejet. Cela suppose au moins que Y connaisse ce qu'il rejette. Il ne nie pas obligatoirement la réalité de la conception que X a de lui même.
En fait, il y a des formes de rejet qui peuvent être constructives : ce peut être, par exemple, la réaction d'un professeur ou d'un maître face à l'un de ses élèves. Cette forme de rejet, avec toutes les précautions psychologiques qu'elle implique, est une façon de dire à l'élève de "revoir sa copie".
Dans le même ordre d'idée, c'est aussi le cas du psychothérapeute qui refuse d'accepter la définition que le patient donne de lui-même, à travers laquelle il cherche significativement à imposer son "jeu relationnel" au thérapeute.
"Vous n'existez pas" ===> Indécidabilité
Le déni ne porte plus sur la vérité ou la fausseté de la définition que X donne de lui-même, il nie carrément la réalité de X en tant que source de cette définition. Y est imperméable au discours de X, consciemment ou pas, et c'est là une situation pour le moins frustrante pour X, qui a des conséquences pragmatiques paradoxales et traumatisantes. Elle peut conduire à une totale aliénation et à une perte d'identité, si X se trouve enfermé durablement dans ce mode de relation par Y.
Les discordances dans la ponctuation des séquences de faits ont lieu toutes les fois que l'un des partenaires, ne possède pas la même quantité d'information que l'autre, mais ne s'en doute pas.
Il y a désaccord entre les interlocuteurs entre ce qui est cause et ce qui est effet, alors qu'en fait, ces concepts sont inapplicables en raison de la circularité de l'interaction en cours, comme nous l'avons vu, plus haut.
Par exemple, si quelqu'un pense que personne ne l'aime, il a toutes les chances d'adopter un comportement méfiant, défensif ou agressif, auquel il y a toutes chances également que les autres répondent en miroir et inamicalement, justifiant par là ses doutes, qui peuvent devenir à la longue des certitudes, s'il persiste. Il est ici hors de propos de se demander pourquoi cette personne a de telles prémisses. Notons que le comment suffit à expliquer le résultat. Nous avons tous fait ce genre d'expérience à un degré ou un autre. Plutôt que de parler de causes et d'effets, c'est notre attitude ou notre position de vie qui donne un sens véritable au contenu de nos relations.
L'effet Pygmalion
C'est l'effet expérimental, noté par une équipe de chercheurs américains en pédagogie, qui avaient prédit aux enseignants d'une classe d'élèves donnée que certains de leurs élèves réussiraient mieux que d'autres. Pour les professeurs, les chercheurs annoncèrent que cette prédiction était le résultat et la suite logique de tests réussis. En réalité, aucun des élèves de la classe n'avait été soumis à des tests en début d'année, et le choix des élèves en question avait été fait de manière entièrement aléatoire. Il s'est avéré cependant que, du fait de cette prédiction, l'attitude et les attentes des professeurs envers ces élèves ont été tout autres qu'elles auraient été normalement. Ces élèves, pour la plupart, ont eu effectivement des résultats tout à fait corrects durant l'année scolaire, et pour certains, même excellents. On a affaire ici à une prédiction qui se réalise d'elle-même du fait d'une attente et d'une attitude congruente.
L'effet Placebo
Il s'agit, en médecine, du même type d'effet que tout le monde connaît. Le médicament actif n'existe pas, mais l'information, elle, existe, et est suffisante pour avoir une portée pragmatique active, réelle et mesurable, sur notre santé. D'où la force de l'esprit sur la matière...
Parler avec son corps
Il est difficile de traduire l'analogique en digital, car, nous l'avons vu, les fonctions de vérité et la négation n'existe pas dans ce mode de communication. Les animaux ont une seule façon de nier un comportement : montrer d'abord l'action à nier, puis ne pas la mener à son terme.
Transmettre une information (du contenu) avec son corps, et uniquement avec son corps, comme par exemple entre deux personnes de cultures et de langues totalement différentes, n'est pas chose évidente ni facile. C'est une source d'erreurs, d'incertitudes ou d'ambiguïtés. Les messages analogiques définissent essentiellement la relation, et ne sont donc pas les meilleurs vecteurs de l'information.
Dans l'autre sens, du digital vers l'analogique, on peut émettre l'hypothèse que les symptômes hystériques sont une tentative de traduire du digital en analogique, lorsque la personne, pour une raison x ou y, n'arrive pas à méta-communiquer sur certains faits, ainsi que nous l'avons vu plus haut. "Ce que ma tête ne peut dire, mon corps l'exprime" Ces erreurs de traduction sont la source d'innombrables conflits humains.
La scène de ménage
Un exemple classique d'escalade symétrique est la scène de ménage, dans laquelle chacun des deux partenaires veut prendre l'ascendant sur l'autre. Leur rivalité provoque un "emballement" du système (en termes cybernétiques, une rétroaction positive) qui peut dégénérer vers une violence d'abord verbale, puis physique, si l'un des deux ne cède pas. C'est la guerre sous toutes ses formes : guerre des nerfs ou guerre de tranchées, sourde et sournoise, voire silencieuse, mais où chacun campe sur ses positions.
Les relations complémentaires peuvent être rigides, lorsque X veut que Y confirme une définition de son moi, à lui X, qui est en contradiction avec la manière dont Y voit X. Y se trouve alors placé en face d'un dilemme très spécial : il lui faut changer la définition qu'il donne de lui-même, pour une définition qui complète, et donc corrobore, celle de X. Il est en effet dans la nature des relations complémentaires qu'une définition de soi ne peut se maintenir que si le partenaire joue le rôle complémentaire qu'on attend de lui.
Le Sadomasochisme
La folie à deux
A un niveau psychopathologique, les troubles complémentaires ont tendance à aboutir à un déni, plutôt qu'à un rejet. Leur importance est donc plus grande que les affrontements plus ou moins ouverts des relations symétriques. Le sadomasochisme et la folie à deux, sont des exemples classiques de troubles pathologiques dans des relations complémentaires.
La communication humaine présente deux aspects inséparables : la relation qui est analogique et continue, puisqu'on ne peut pas ne pas communiquer, et le contenu qui est digital et discontinu, puisqu'on peut toujours s'arrêter de parler. Nous avons vu que la relation englobe le contenu et est par conséquent une méta-communication, c'est à dire une communication sur la communication, ou une communication de second degré.
Ces deux aspects sont donc en relation complexe, c'est à dire mêlés ensemble de façon inséparable, antagoniste, complémentaire et incertaine. Il y a toujours un risque de prendre l'une pour l'autre, c'est à dire la relation pour le contenu, ou le contenu pour la relation; risque qui conduit inévitablement à des distorsions de la communication. Ces distorsions peuvent être begnines ou volontaires, c'est le cas de l'humour, ou aller crescendo jusqu'à la folie furieuse. La folie utilise un mode particulier de communication, la communication paradoxale, que nous n'avons fait qu'évoquer avec le déni, et que nous examineront en détails plus loin.
Chaque niveau est déterminé et conditionné par le niveau immédiatement supérieur. Il faut donc se situer au niveau N+1 pour pouvoir intervenir efficacement sur le niveau N, le recadrer ou le faire évoluer. Nous avons vu en effet que c'est seulement en méta-communiquant, c'est à dire en parlant sur le contenu de notre communication, que nous pouvons véritablement faire évoluer ou changer nos comportements. Changer vraiment, ce n'est pas faire moins ou plus de la même chose, c'est faire autre chose. Il y a donc discontinuité.
Ces niveaux logiques sémantiques s'imbriquent donc de manière discontinue, comme des emboîtements de poupées russes, dans une progression à la complexité croissante.
Niveau 1 : le contenu
C'est à ce niveau que l'on comprend sans aucune difficulté la phrase suivante : "Voici comment je vous vois."
Le niveau 1 est celui de l'information.
Niveau 2 : la relation
C'est à ce niveau que l'on comprend toujours la phrase suivante : "Voici comment je vous vois me voir."
Le niveau 2 est celui de la relation.
Niveau 3 : les valeurs
C'est à ce niveau que l'on comprend encore, mais difficilement, la phrase suivante : "Voici comment je vous vois me voir vous voir."
Le niveau 3 est celui de nos valeurs. Nos valeurs déterminent nos relations. Elles sont le fondement même de notre existence, et donnent un sens et une direction à notre vie relationnelle. Elles sont par-là même très difficiles à faire évoluer ou à changer. Ce n'est qu'en "montant" au quatrième niveau que nous pourrons y parvenir.
Niveau 4 : les révélations, les expériences mystiques, l'inconscient, les changements thérapeutiques
C'est à ce niveau que l'on ne comprend plus du tout la phrase suivante : " Voici comment je vous vois me voir vous voir me voir." car son imbrication réflexive est d'une telle complexité qu'on en perd le fil.
Le niveau 4 est celui des révélations, des expériences mystiques, celui qui fit dire "Eurêka!" à Archimède dans sa baignoire. A ce niveau, la compréhension des choses est ténue et mystérieuse et échappe presque complètement à la conscience. On ne peut en avoir que des "insights", en retenir que des instants fugaces d'extase ou de grande clairvoyance. C'est le niveau de l'inconscient, celui de l'enseignement zen ou de la psychothérapie. Une psychothérapie qui réussit l'est souvent à l'insu de ses principaux intéressés : ni le thérapeute, ni le patient ne peuvent dire ni exactement quand, ni exactement où, ni exactement comment, et encore moins pourquoi les choses ont évolué; tout ce qu'ils peuvent dire, c'est que le changement s'est produit. C'est également à ce niveau, après une révélation ou une expérience forte, que l'on peut changer ses valeurs, et, par voie de conséquence, son style de vie.
Niveau 5 : ... Energies subtiles ?
De quoi s'occupent les prémisses du cinquième degré, celles qui pilotent et déterminent notre inconscient, nos révélations ? Inconscient collectif ? Intention de l'univers ? Dieu ? Toutes les exégèses sont permises car il est impossible de voir clair à ce niveau. Ne doutons pas cependant que la portée pragmatique des prémisses de ce niveau est certainement très puissante et active, même si nous n'en avons aucunement conscience. Nous nous arrêterons donc à ce niveau.
On s'aperçoit en grimpant dans cette échelle de la complexité de la communication, à travers ses méta-niveaux sémantiques qui sont en quelque sorte ses barreaux, que la portée pragmatique de ses énoncés est de puissance croissante à chaque étape ou niveau logique supérieur, et qu'elle détermine dans une large part notre rapport au monde et à nous-mêmes.
Rien théoriquement, sauf la limitation de nos sens et de notre entendement, ne nous permet d'affirmer que cette progression logique s'arrête. Nous constatons cependant qu'en prenant de la hauteur ses modalités et son champ d'application deviennent de plus en plus ténus et subtils, qu'ils se dématérialisent, en quelque sorte, pour prendre un aspect essentiellement qualitatif et spirituel.
Le paradoxe est une contradiction qui vient au terme d'une déduction correcte à partir de prémisses consistantes.
"La classe de toutes les classes qui ne sont pas membres d'elles mêmes" - Paradoxe de Russell.
La classe de tous les chats n'est pas un chat, mais une abstraction, un concept, que nous appellerons "les félins domestiques". Par contre, la classe de tous les concepts est bien de même nature que ses membres, c'est à dire également un concept. On voit donc qu'il existe dans la réalité des classes membres d'elles-mêmes (ici, la classe des concepts), et des classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes (ici, la classe des chats, celle des "félins domestiques")
Au niveau logique supérieur, appelons M la classe des classes qui sont membres d'elles-mêmes, et N la classe des classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes. (Comme la classe des concepts du type "félins domestiques") Si N est membre d'elle-même, elle n'est pas membre d'elle-même, puisque N est la classe des classes qui ne sont pas membres d'elles-mêmes. Par ailleurs, si N n'est pas membre d'elle-même, elle satisfait à la condition d'auto-appartenance : elle est membre d'elle-même précisément parce qu'elle n'est pas membre d'elle-même, puisque le fait de ne pas appartenir à soi-même est la distinction essentielle de toutes les classes qui composent N.
Mais arrêtons de jouer sur les mots ou plutôt de les prendre dans des sens différents. Le concept des concepts (ou la classe des concepts) n'est pas un véritable concept, mais un (concept)2 ou un méta-concept, d'où le paradoxe. Pourtant la langue est riche de télescopages de cet ordre, dont la réalité pragmatique nous pose de véritables problèmes.
"Je suis un menteur" - Paradoxe d'Epiménide
Si je suis un menteur, tout ce que je dis est mensonge, donc l'affirmation "je suis un menteur" n'est pas vraie. Par conséquent, je ne suis pas un menteur.
Mais si je ne suis pas un menteur, et que par conséquent je dis toujours la vérité, l'affirmation "Je suis un menteur" est vraie, ce qui implique que je suis un menteur.
"Sois spontané !"
Comment faire pour être spontané quand on me le demande ? Si je le suis vraiment, alors je ne peux obéir à cet ordre, et si j'obéis à cet ordre, alors je ne peux l'être vraiment.
On voit donc que le paradoxe nous fait osciller alternativement du vrai au faux et du faux au vrai. Le paradoxe affirme sur lui-même quelque chose qu'en même temps il nie.
Il devient donc impossible dans ce type de communication de séparer le vrai du faux et le faux du vrai. Le vrai semble renvoyer au faux et le faux au vrai. La logique courante nous est d'aucun secours, pire, elle nous embrouille davantage en nous faisant tourner en rond. Pour sortir de ce cercle vicieux, nous sommes donc bien obligés de faire appel à une nouvelle catégorie logique, l'indécidabilité, qui n'est ni vraie ni fausse, mais comme son nom l'indique, indécidable. Le paradoxe relève de cette catégorie logique, celle du tiers inclus. Inutile donc de chercher à dénouer un paradoxe de l'intérieur, car il se boucle sur lui-même, comme un serpent qui se mort la queue.
C'est à Grégory BATESON, anthropologue américain, que l'on doit ce concept. Pour lui, les éléments qui composent une double contrainte paradoxale peuvent se décrire comme suit:
1 - Deux ou plusieurs personnes sont engagées dans une relation intense qui a une grande valeur vitale, physique et/ou psychologique pour l'une d'elles, pour plusieurs ou pour toutes.
Par exemple : la vie familiale, notamment l'interaction parents-enfants, l'infirmité, la dépendance matérielle, la captivité, l'amitié, l'amour, la fidélité à une croyance, une cause ou une idéologie; des contextes fortement normatifs; la situation psycho-thérapeutique.
2- Dans un tel contexte, un message est émis qui est structuré de telle manière que :
a) il affirme quelque chose,
b) il affirme quelque chose sur sa propre affirmation,
c) ces deux affirmations s'excluent.
Ainsi, si le message est une injonction, il faut lui désobéir pour lui obéir,
S'il s'agit d'une définition de soi ou d'autrui, la personne définie par le message n'est telle que si elle ne l'est pas, et ne l'est pas si elle l'est.
Le sens du message est donc indécidable. (Première contrainte)
3- Enfin, le récepteur du message est mis dans l'impossibilité de sortir du cadre fixé par ce message, soit par une méta-communication (critique), soit par le repli.
Donc, même si , logiquement, le message est dénué de sens, il possède une réalité pragmatique : on ne peut pas ne pas y réagir, mais on ne peut pas non plus y réagir de manière adéquate (c'est à dire de manière non paradoxale) puisque le message est lui-même paradoxal.
Cette situation est souvent combinée à la défense plus ou moins explicite de manifester une quelconque conscience de la contradiction ou de la question qui est réellement en jeu. (deuxième contrainte)
Un individu, pris dans une situation de double contrainte, risque donc de se trouver puni (ou tout au moins de se sentir coupable), lorsqu'il perçoit correctement les choses, et d'être traité de "méchant" ou de "fou" pour avoir ne serait-ce qu'insinué que, peut être, il y a une discordance entre ce qu'il voit et ce qu'il "devrait" voir.
Avec deux conséquences dérivées :
4- Là où s'établit une double contrainte durable, éventuellement chronique, l'individu (surtout s'il s'agit d'un enfant) s'y attendra comme à une chose allant de soi, propre à la nature des relations humaines et au monde en général, conviction qui ne demande pas plus ample confirmation.
5- Le comportement paradoxal qu'impose la double contrainte possède en retour la propriété d'être "doublement contraignante", ce qui conduit à un modèle de communication qui est un cercle vicieux. Si l'on étudie isolément le comportement du partenaire qui paraît le plus manifestement malade, ce comportement satisfait aux critères cliniques de la schizophrénie.
En résumé, la double contrainte n'est pas qu'une simple contradiction mais un véritable paradoxe.
Nous tenterons ici, à titre d'exemple, de modéliser la pragmatique relationnelle à l'oeuvre au coeur d'une secte. Voici nos personnages :
X= Le membre novice plein de doutes, d'aspirations, et de bonne volonté
Y= Le gourou sectaire charismatique
X et Y sont en général des personnes intelligentes, sensibles et instruites.
Au premier degré, aux messages que X donne de lui-même : "Voici comment je me vois" Y répond "Voici comment je vous vois" mais d'une manière qui ne concorde pas avec la définition que X donne de lui-même. Il y a rejet systématique.
X peut alors conclure que Y prend un malin plaisir à le contredire systématiquement et sans ménagement, mais Y le persuade que c'est là le coeur même de son "enseignement", et qu'il faut qu' X change profondément sa façon d'être et de voir les choses, pour devenir l'élu, l'être de lumière qu'Y prétend être après avoir suivi ce même cheminement personnel. Ce faisant Y flatte l'ego de X, en lui faisant miroiter un avenir plein de promesses. Il fait naturellement tout pour le convaincre qu'il n'est là que pour l'aider, le soutenir et le guider sur ce chemin difficile. X va donc mordre à l'hameçon, d'autant plus que ses motivations sont fortes, et qu'il est désireux de bien faire pour se montrer digne de l'attention et de la confiance que lui témoigne Y.
Mais au fur et à mesure que le novice s'engage dans ce processus de remise en question, et d'apprentissage de la dialectique de la secte Y va se montrer de plus en plus exigeant et pressant, et ce, sur tous les plans : X doit faire des efforts de plus en plus grands, tant financiers, que personnel et affectif, en évitant par exemple de voir sa famille qui pourrait perturber l'apprentissage et l'intégration de ses nouvelles valeurs. En compensation, X se voit introduit dans des cercles plus fermés de la secte, qui lui sont présentés comme le résultat mérité de ses efforts, car il peut maintenant accéder à ce niveau de "connaissance supérieure" dont il a rêvé, en rencontrant des membres évolués. Notons que ces étapes de la connaissance sectaire sont toujours très nombreuses et que X se doit de les franchir les unes après les autres pour être introduit dans le saint des saints. Mais ce parcours initiatique pour arriver à la connaissance suprême, que seul possède le grand maître bien évidemment, est semé d'embûches. Tout cela se passe au cours de cérémonies aussi ésotériques que secrètes, à travers un cérémonial et un décor de circonstances, mélanges de traditions cabalistiques, rosicruciennes et pseudo-religieuses. C'est là que très solennellement, X va être adoubé et reconnu par ses pairs et supérieurs. (Cf. la secte du Temple Solaire).
Au niveau de la communication, Y réfute et déforme sciemment tous les messages de X, et l'entraîne dans une mystification de plus en plus grande.
X est maintenant bientôt mûr pour faire le grand saut. A ce stade, Y alterne le chaud et le froid, toujours de façon brutale. C'est la fuite en avant perpétuelle. Y se montre très exigeant et en demande toujours plus. X doit coopérer, afin d'être encore plus "pur mentalement et spirituellement". Ce faisant, il perd de plus en plus pied avec la réalité et le reste d'esprit critique qu'il pouvait encore avoir gardé, disparaît progressivement.
Après un tel investissement personnel, le piège se referme complètement sur lui. X ne peut plus remettre en cause les messages et le discours de Y, car c'est le maître, l'être achevé auquel il veut s'identifier. Y entretient d'ailleurs très fortement cette fascination auprès de ses membres. X ne peut plus non plus remettre en cause ses propres efforts personnels, sous peine de se déjuger complètement. Il perd donc pied progressivement avec la réalité.
Au niveau de la communication, X ne peut plus se permettre de transmettre les messages du type : "Voici comment je vous vois réellement me voir", ni même de les penser, sous peine de nier son propre engagement dans la secte, son propre ego, sa propre démarche face à Y, et sous peine d'affronter Y, qui, de toutes façons, le renverra perpétuellement au premier degré. X préférera alors nier ses propres perceptions véritables, encore saines, de sa relation avec Y, et accepter le simulacre comme l'expression de la réalité.
On assiste alors à ce niveau au début d'une imperméabilité au second degré, à savoir une imperméabilité à l'imperméabilité.
Y offre à X une pseudo relation d'aide et de soutien, qu'il donne à voir et à entendre à X comme réalité extrêmement signifiante et tangible. De cette façon, il maintient X toujours à distance, en usant et abusant de sa position charismatique. Si X tente de se rapprocher réellement de lui, Y s'éloigne en renvoyant X à lui-même, et si X s'éloigne réellement, Y se rapproche en renforçant son emprise sur X par "ses pouvoirs occultes" qu'il lui dispense royalement. On assiste à un jeu subtil de manipulations... Y contrôle alors totalement les signaux intérieurs de X, ainsi que ceux qu' X dirige vers lui. Il y a double emprise, à la fois interne et externe de Y sur X, et une aliénation progressive et certaine de X, qui n'est plus alors qu'un pantin aux mains d'Y.
La conséquence est que X va de moins en moins discriminer correctement la relation de son contenu, et se trouver pris dans une situation paradoxale, de plus en plus contraignante qui va l'enfermer progressivement, et dont il ne pourra plus se défaire. Cela va le conduire inexorablement à une perte d'identité de plus en plus grande, à une dépersonnalisation profonde, voire à des comportements pathologiques de type schizophrénique, dans un cercle de plus en plus vicieux et malsain.
Les processus paradoxaux à l'oeuvre dans la pragmatique de la communication d'une telle famille, sont sensiblement identiques à celle décrite, ci-dessus. La seule différence, de taille, est que la manipulation de la mère sur son enfant se fait de manière essentiellement inconsciente. L'amour proposé par la mère à son enfant n'est qu'un commentaire d'un amour véritable, et les attentes légitimes de l'enfant se trouvent complètement mystifiés, sa parole étant depuis longtemps forclose (close avant d'exister, au sens lacanien). Dans tous les cas et quoi qu'il fasse, il a tort et est puni en conséquence. Inutile de dire que dans une telle famille, le patient déclaré n'est que la partie émergée d'un iceberg profond et malsain.
Prescrire le symptôme
Sans rentrer dans les détails qui nous emmèneraient trop loin, disons qu'une des façons de faire sortir quelqu'un d'une double contrainte pathologique, est de lui appliquer un double contrainte thérapeutique, de sens exactement contraire. Cela revient à dire que la seule solution réaliste et pertinente (d'après l'équipe de Palo Alto) est de prescrire le ou les symptôme(s), en d'autres termes, appliquer au paradoxe un paradoxe équivalent mais de sens contraire (un paradoxe positif et vertueux) pour tenter de le dénouer. On voit ainsi, en traitant le comment et non le pourquoi, qu'on est très loin de la psychanalyse ou de toutes les méthodes d'investigations analytiques. Pourtant et paradoxalement, soigner le mal par le mal est bien loin d'être dénué de sens et d'effets, ce que reconnaît d'ailleurs l'adage populaire.
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