Pour répondre à un problème, il convient de recourir non à l'histoire historisante, mais à l'histoire pensée.
Les systèmes historiques incarnent forcément toute l'irréversibilité du temps: mais tout système historique a un commencement et une fin... Tant qu'un système fonctionne bien, il n'y a pas vraiment de volonté libre. Les structures forcent le choix, et même le créent.
Cependant, quand le système entre dans cette plage de temps qui marque l'époque de sa mort ou de sa mutation - et celle-ci , par définition, ne survient qu'à son terme -, tout ou presque est à saisir. Pour les acteurs sociaux, l'éventail des choix s'élargit, la liberté de décision prédomine sur la nécessité. Mais l'issue reste indéterminée.
Nous sommes aujourd'hui entrés dans une telle transition. Les oscillations, politiques ou théoriques, deviennent de plus en plus fortes et irrégulières.
L'éventail effectif des choix se présente sous la forme de questions morales, bien plus profondément qu'il y a un siècle. Même s'il est douteux qu'elle puisse tout à fait disparaître, la distinction classique entre les choix politiques, intellectuels ou moraux s'amenuise singulièrement en de pareils moments.
Dès lors, le choix devient de plus en plus difficile et le débat porte sur des principes.
Immanuel WALLERSTEIN
Directeur du Centre Fernand BRAUDEL (NY University)
Nous aborderons ici, à travers un thème social, la nécessité actuelle d'utiliser des approches globales, systémiques, complexes ou écologiques, et en tous les cas humanistes, en prenant comme point de départ la problématique de la réduction du temps de travail et du passage au 35 heures, qui a cristallisé et cristallise encore des positions de principe très antagonistes entre les différents partenaires en jeu, dont l'Etat et le Patronat, en premier lieu. Sera abordé à l'occasion le concept de paradigme, fort à la mode, mais utile dans cette mise en perspective
Les 35 heures sont une mauvaise réponse à un faux problème. Le faux problème est de croire que réduire le temps de travail est générateur d'emploi(s). Le vrai problème de l'emploi est intimement lié à la création de richesses nouvelles, c'est-à-dire concrètement à une augmentation des carnets de commande. C'est parce qu'il y a encore faiblesse, voire anémie dans certains secteurs de ces carnets de commande, que les entreprises de ces secteurs peinent ou souffrent et ne peuvent se permettre d'embaucher davantage. Pour créer plus d'emplois il faut donc créer plus de richesses, et par conséquent travailler davantage. En passant aux 35 heures, on ne fait que partager la pénurie, charger et affaiblir un peu plus une économie qui n'a pas besoin de ça.
C'est pourquoi, le passage aux 35 heures (payées 39) se profile de façon catastrophique pour un certain nombre d'entre elles - particulièrement celles où la main d'oeuvre est importante - car cette disposition légale et réglementaire va augmenter leur masse salariale de 11%, en réduisant d'autant leurs capacités d'autofinancement, donc leur compétitivité et leurs chances de suivie. Ce passage aux 35 heures diminuera aussi leurs marges de manoeuvre, notamment à l'international, car il ne leur sera pas possible de répercuter ces charges supplémentaires sur leurs prix, dans une économie et un marché mondialisés qui ne sauraient supporter cette spécificité franco-française. En conséquence de quoi, ces entreprises seront obligées à court ou à moyen terme de licencier ou de délocaliser leur production, avec un effet boomerang sur l'emploi de sens exactement contraire à celui escompté. D'où le "clash" du patronat et la démission de Jean Gandois à l'époque.
Les 35 heures sont une bonne réponse à un vrai problème. Le vrai problème, c'est le chômage, la fracture sociale et l'exclusion. La situation n'est plus tolérable, et il faut absolument sortir de cette spirale infernale. Partager la richesse est une solution équitable et sociale (pour ne pas dire socialiste...). Elle permettra l'entrée massive d'environ 10% de salariés supplémentaires dans le monde du travail, constitués essentiellement de jeunes, de femmes, de chômeurs et d'exclus, en soulageant d'autant toutes les formes d'assistance financière qui leur sont accordées qui coûtent très cher à la collectivité. Plus d'emplois, c'estmacro-économiquement plus de pouvoir d'achat et de consommation, c'est donc une relance automatique et mécanique de l'économie, et c'est pourquoi il ne faut donc pas baisser les salaires mais les maintenir ou les augmenter (position keynésienne de Marc Blondel). C'est aussi plus de rentrées sociales et fiscales, plus de TVA, donc moins de déficits publics et sociaux, à terme, en particulier celui de la sécurité sociale. Le système s'équilibre de lui même en créant sa propre dynamique. Par ailleurs, cette réduction du temps de travail va dans le sens de l'Histoire. Elle donnera aux salariés plus de temps libre pour mieux profiter de la vie, chacun à sa manière. C'est donc aussi une position qui se veut "humaniste".
Ces deux attitudes aux logiques contradictoires ne sont pas seulement radicalement et diamétralement opposées, elles sont aussi nécessairement complémentaires. Si l'on simplifie jusqu'à la caricature ce que disent les uns et les autres, on a d'un côté la ruine annoncée de l'économie française, et de l'autre, on a réglé en partie le problème du chômage et des déficits. Il est toutefois difficile d'enfermer la réalité dans des idées ou schémas aussi simples (simplistes ?), ni même, a contrario, dans des systèmes de penser aussi sophistiqués ou intelligents soient-ils. Nous sommes là confrontés à une double exigence contraire : nous devons éviter de tomber dans toute systématisation idéelle et idéale (théories, doctrines et idéologies) alors même que nous avons un besoin impérieux et urgent d'un socle (ou système) solide d'idées cohérentes, et plus encore d'idées neuves et novatrices, pour penser cette réalité qui pose problème. Tel est le paradoxe : le réel ne se pense, ne se définit, ne se construit, ne se possède qu'à travers la médiation des idées, qui a leur tour nous pensent, nous définissent, nous construisent et nous possèdent. Il nous faut donc des idées civilisées, des idées tolérantes, ouvertes au dialogue et à l'expérience du terrain, c'est-à-dire des idées "écologisées" par l'action, des idées qui ne nous enferment pas mais nous ouvrent des possibles en laissant à la multiplicité des points de vue la possibilité de s'exprimer et de s'affronter en toute liberté, et c'est pourquoi le dialogue et la négociation sont inévitablement nécessaires et complémentaires entre les parties et les idées en présence.
De plus, le problème n'est pas tant de travailler plus ou de travailler moins, il est de travailler mieux. C'est donc vers un saut qualitatif qu'il nous faut aussi advenir, en travaillant parfois plus, parfois moins, c'est-à-dire en étant plus flexible et plus réactif, ce que souhaite le patronat, mais aussi en vivant mieux, en étant plus solidaires les uns des autres, en créant plus de liens et d'interdépendances personnelles et sociales, ce que souhaitent notamment les syndicats.
Il est à noter aussi que ces deux positions tranchées occultent complètement (ou peu s'en faut !) la dynamique du processus, qui se dévoilera progressivement et obligera les uns et les autres à un effort d'organisation important, à un dialogue nécessairement constructif et positif, d'où émergera des potentialités nouvelles et les potentialités de nouvelles émergences, non encore visibles et donc pensées aujourd'hui, qui a leur tour rétroagiront sur le processus global, pour aboutir en définitive à ... ce que nous ignorons encore. C'est pourquoi les projections catastrophiques ou idylliques qui se font face encore aujourd'hui sont très loin de la réalité même de demain. Et c'est pourquoi "Il nous faut pénétrer dans l'inconnu, car le connu n'a déjà que trop failli aux espoirs que nous y avons fondés".
Dans l'approche de ces processus dynamiques nos réflexes de penser habituels (une cause ---> un effet) sont insuffisants. Nous devons passer d'une pensée déterministe et linéaire à une pensée multidimensionnelle, une pensée circulaire et complexe, dialogique et récursive (car réflexive et dialoguante), qui elle même nécessite une causalité et une logique complexe dont je rappellerai ici (et un peu savamment, je m'en excuse) les six points clés :
En effet, il y a différence et divergence quand la même cause déclenche, ici une régulation ou une réaction qui annule l'effet prévisible, là une rétroaction positive qui l'amplifie. De plus, la rétroaction positive peut elle même entraîner, soit la ruine du système où elle se développe, soit sa transformation, soit encore de nouvelles morphogenèses par schismogénèses.
Les causes extérieures diverses qui pourraient entraîner plusieurs systèmes semblables à évoluer de façon divergente se trouvent quasi annulées par le contre-effet des rétroactions négatives sous contrôle informationnel, et les systèmes, bien que déportés ou déviés dans leur processus, obéissent à l'équifinalité qui aboutit aux mêmes effets.
Il suffit d'une coïncidence entre une petite perturbation et une défaillance momentanée mais critique, dans un dispositif de correction pour que se développe, à partir d'une déviance locale, un processus de déstructuration ou de transformation en chaîne entraînant d'énormes conséquences. C'est l'effet " papillon " bien connu.
A l'inverse, l'effet d'une énorme perturbation peut être quasi annulé au terme d'un travail régulateur et réorganisateur de tout le système.
Ainsi la cause déclenche une contre-action inverse, comme le refroidissement extérieur provoque le réchauffement de l'organisme vivant homéotherme. Dans certains cas, l'effet contraire issu de la contre-action devient le seul et véritable effet de la cause originaire; ainsi le résultat principal d'une maladie surmontée est d'aguerrir et d'immuniser.
On ne peut savoir à l'avance si les rétroactions qui l'emporteront seront négatives ou positives.
Cela nous invite à prendre le recul nécessaire, à trouver les méta-points de vue qui intègrent et dépassent les clivages initiaux. Cela nous amène aussi à situer toute action dans son contexte, et à prendre bien évidemment en compte ce contexte comme partie prenante et partenaire du processus. Et il est bien vrai, en ce qui concerne la diminution du temps de travail, qu'elle s'inscrit aussi dans un contexte économique européen et mondial qui doit être pris inévitablement en compte.
C'est donc aussi un choix politique de société, car si nous ne voulons pas nous aligner sur les pratiques et conditions sociales des pays émergents, si nous voulons défendre l'identité de notre "contrat social" à la française, et plus largement notre identité européenne, si nous refusons de voir laminer cette identité par un nivellement par le bas, il faudra aussi nous en donner les moyens (l'euro, une politique sociale européenne, un rééquilibrage planétaire, etc...). Il y a là un vrai problème que nous devons être capable de résoudre par le dialogue, l'intelligence et la créativité. On ne peut en faire l'impasse ou l'occulter.
Plus profondément, une approche nouvelle des problèmes doit substituer au paradigme ambiant de disjonction / réduction - un paradigme peut être considéré comme un modèle global et conceptuel d'interprétation -, un nouveau paradigme de conjonction / distinction, à savoir qu'il nous faut passer d'une pensée qui "disjoncte", qui sépare les problèmes, les spécialise, les réduit et les atomise en parties partielles et partiales, à une pensée plus associative et conviviale (vivre avec), qui "conjugue" les parties en un tout original sans cesser, pour autant, de les "distinguer" avec pertinence dans leur vitalité propre, en marquant en cela ... sa distinction !
Qu'il s'agisse de l'ère ou de l'aire des spécialistes et des technocrates, il est urgent qu'elle s'ouvre et s'élargisse davantage à celle des politiques, des généralistes et des ensemblistes, et davantage encore à celle des citoyens. Quant aux airs des uns et des autres ils ne peuvent que mieux s'accorder et faire bonne figure ensemble ! Ils se justifient et s'entre-appellent, d'ailleurs. (mais allez savoir d'où ?)
Un paradigme est par nature invisible du fait même de son omniprésence. Sa force agissante est tellement évidente qu'elle en devient transparente et inconsciente : c'est comme respirer ou faire du vélo. Nos idées, notre manière de penser et d'agir sont dépendants du paradigme ambiant. Nous l'enveloppons et le justifions autant qu'il nous enveloppe et nous justifie.
Un paradigme s'impose donc avec la force aveugle et aveuglante d'une évidence triviale. Lorsqu'un nouveau paradigme surgit, il ne détruit pas l'ancien qu'il remplace, mais le relativise et le situe comme un cas particulier d'une structure plus générale : il le délocalise de sa place centrale et le régionalise en périphérie. Ainsi la relativité généralisée d'Einstein a relativisé la mécanique classique et les notions d'espace temps. Le nouveau paradigme ouvre et élargit le cadre de référence en apportant un méta-point de vue.
En élargissant ainsi le cadre de référence, le nouveau paradigme découvre en quelque sorte la forêt derrière l'arbre, le motif caché derrière le motif apparent. On peut l'apparenter métaphoriquement à ces dessins devinettes qui cachent des intrus à découvrir (le plus souvent dans des arbres, d'ailleurs). On peut les regarder des dizaines de fois sans les voir, mais dès lors qu'on les a vus, on ne peut plus ne plus les voir. Le nouveau paradigme surgit donc avec la même évidence, de façon immédiate et globale. C'est un nouveau tout organisé, une nouvelle gestalt. Nul besoin d'effort particulier pour le percevoir, si ce n'est ce regard neuf qui nous amène à lâcher prise sur l'imprinting de nos perceptions précédentes. C'est là un moindre effort, une ouverture, une discontinuité, comme l'eau qui cherche son chemin et prend toujours le plus économique. Bien sûr, avant qu'il ne s'impose, l'eau a le temps de couler sous les ponts ...
Ce moindre effort est paradoxalement l'effort le plus difficile qui nous soit demandé, car il nous oblige à désapprendre ce que nous savons, pour (re)découvrir ce que nous avons appris. Découvrir en enlevant le couvercle de nos a priori et préjugés. C'est un plongeon dans l'inconnu du connu qui nous fait en quelque sorte pénétrer en apnée profonde dans le "grand bleu" de notre connaissance pour y apprendre à y respirer et à s'y mouvoir différemment, à la fois mieux et plus profondément, comme sait le faire par exemple un Jacques Mayol dans son domaine. Plonger ainsi au plus profond de nous mêmes nous permet de découvrir la partie immergée de notre humanité, nous donne aussi l'humour nécessaire pour soigner la partie meurtrie de notre savoir (le grand bleu...), nous apporte aussi le calme et la paix intérieure, signes d'une véritable connaissance, c'est-à-dire d'une connaissance de notre vérité.
Le nouveau paradigme ne pourra donc émerger que lorsque les effets des paradoxes que le paradigme ambiant génère, notamment sur le plan économique et social avec la barbarie de l'exclusion, cette nouvelle forme de déni social, se seront heurtés aux effets de paradoxes contraires, voire aux effets contraires des mêmes, un peu comme une inversion de leurs ambiguïtés ou un retournement de leurs polarités. Mais faudra-t-il épuiser jusqu'à la dernière extrémité une valence de cette logique paradoxale pour que, mécaniquement ou par la force des choses, l'autre effectue un retournement de tendance et devienne active ? En d'autres termes, sommes nous obligés d'aller jusqu'au bord du gouffre pour nous apercevoir qu'il y a vraiment un gouffre ? Et éviter alors de faire le "grand pas en avant" ?
En ce début du XXIième siècle qui nous appelle à inventer de façon urgente et impérative une autre façon d'exister ensemble et de construire le monde, nous subissons les effets boomerang de ces paradoxes dans une accélération sans précédent de l'histoire de notre civilisation. En premier chef s'impose le paradigme central de Progrès et de développement, qui, voulant nous libérer, nous asservit dans une course folle vers le "toujours plus", nous aliène dans un double bind économique quasi-schizophrénique, où sans cesse la création de richesses nouvelles appelle en une liaison simultanée et récursive la réussite des uns et l'échec des autres, notamment les autres du tiers et du quart monde. Il en découle une spirale infernale au niveau social : celle de l'échec de la réussite qui aboutit immanquablement à la réussite de l'échec !
Il y a certes réussite dans un sens, et réussite essentiellement technico-économique pour les uns, là où les gains de productivité deviennent plus importants, les technologies et les automatisations plus sophistiquées et complexes, les emplois plus spécialisés et qualifiés, les moyens d'échanges et de communication plus rapides et performants, mais aussi échec et gâchis dans l'autre sens, pour les autres, le plus grand nombre, quand l'exploitation sans frein des ressources de la planète et de la biosphère génère pollutions et déséquilibres de toutes sortes, quand la faillite des politiques de l'emploi aboutit à une fracture sociale de plus en plus visible, quand le chômage, l'exclusion et la violence sont de plus en plus exacerbés et présents jusque dans les organisations les plus élaborées de nos sociétés dites avancées.
Il y a surtout un manque évident de perspectives à long terme, un imaginaire collectif "à bout de souffle", un vide psychologique et spirituel de plus en plus pesant, une béance générale du sens que ne saurait combler l'idéologie big-brothéro-médiatico-ambiante de la consommation à tout prix (et à tous les prix...) véhiculée ou plutôt bulldozerisée par une publicité agressive omniprésente.
Le capitalisme hégémonique et triomphant nous a-t-il définitivement vaincu et condamne-t-il les 3/4 de la planète à la misère comme une fatalité naturelle ?
Replacer l'homme au centre de toute chose ... l'homme maître de son destin.... Mais en réalité, sommes nous encore maîtres ou déjà esclaves de cette économie mondialisée que nous avons créée ? Par delà les clivages politiques gauche-droite si réducteurs, un nouvel humanisme peut-il voir le jour ? Peut-il exister une nouvelle façon de vivre ensemble qui rassemble et unifie l'énergie des égoïsmes individuels vers un avenir commun plus souriant ? Pourra-t-on sortir de l'âge de fer planétaire ? Nous sommes proches de l'utopie d'un côté ... et du meilleur des mondes, de l'autre, mais l'urgence est là qui nous pousse à agir et à inventer des solutions.
Alors, les 35 heures ? Vraie ou fausse solution à un vrai ou faux problème ? Nous voila revenus à notre problématique de départ après cette spirale paradigmatique quelque peu énigmatique.
Il est en tous les cas à souhaiter qu'un nouveau paradigme surgisse et agisse profondément sur l'inconscient collectif comme une thérapeutique, avant qu'il ne soit trop tard. De là pourra naître un imaginaire moteur, une nouvelle voie qui nous permettra d'y voir plus clair (voir ma "pile complexe" en annexe, plus bas). Cette nouvelle voie, cette itinérance incertaine et périlleuse, reste à tracer. Il nous faut cheminer sans chemin... le chemin se construit en marchant. Ce chemin est celui d'un pari quelque peu pascalien, où un véritable progrès, beaucoup moins visible et clinquant que celui qu'on nous promet, pourrait voir le jour.
A ce sujet, il est remarquable que le chemin de la Qualité, au sens commun comme au sens industriel, s'exprime non par une positivité immédiate et triomphante, qui s'imposerait ex nihilo, d'elle même et comme telle, sans histoire et sans passé, mais bien plus profondément, pour en arriver là, par une négation de négation, une régression de régression, un long, dur et laborieux travail de l'ombre s'exerçant à contre-courant des forces chaotiques d'entropie et de destruction.
Bien que le résultat mathématique soit le même ( - x - = +), il y a beaucoup plus à voir et à comprendre dans cette double négation que dans une simple affirmation : notamment une idée de progrès bien plus riche et humaine, parce qu'elle s'inscrit dans la durée d'un combat incessant, et le dynamisme des forces à l'oeuvre que l'on perçoit alors avec perspective et profondeur, comme un acquis durement gagné.
Car, dans les faits, la démarche Qualité n'est rien d'autre qu'une régression de régression, un échec de l'échec et à l'échec, une négation de négation qui positive alors l'objectif dans la direction du "zéro défaut". En valorisant les points forts, c'est en effet les points faibles ou les défauts constatés qu'on tente de corriger, de diminuer ou de supprimer. Cette décroissance vers le zéro est d'ailleurs tout à fait significative d'une régression qui devient par retournement et détournement subreptice - quasiment en douce - un accroissement positif. Mais il ne pourra 'y avoir véritablement de zéro défaut que lorsque cet objectif qualitatif deviendra aussi un objectif global, sociétal et politique (Cf la vache folle). Ainsi pourra s'inverser la spirale infernale évoquée précédemment en une spirale vertueuse de polarité inverse, où l'échec de l'échec conduira immanquablement à la réussite de la réussite ! Vaste programme....
C'est en définitive pourquoi les problèmes en jeu, avant tout humains, ne sont ni simples ni évidents à aborder, et encore moins à résoudre. D'où la nécessité de les poser avec le plus d'ouvertures possibles, en utilisant des méthodes globales, systémiques ou complexes pour en faire émerger toutes les facettes, en faire ressortir toutes les liaisons et interrelations internes aussi bien qu'externes, en souligner tous les antagonismes et toutes les complémentarités. D'où, aussi, la nécessité d'être pragmatique et de reconnaître l'action comme un moteur efficace et un contrepoids toujours présent et accessible à toute dérive de pensée, notamment sectaire.
Déjà, des brèches s'ouvrent, au coeur même de cette problématique, pour toute une catégorie d'intervenants, dans des activités de "médiation", de "facilitation" ou "d'interfaces", pour reprendre une terminologie en vogue. A eux de faire tout leur possible pour que ces brèches étroites deviennent des ouvertures plus larges, pour que ces possibles, bien que fragiles, restent quand même possibles.
1- La complexité n'est ni une complication (qui peut toujours
se réduire à des éléments simples) ni une
simplification.
2- Le paradigme de complexité intègre et dépasse le paradigme de simplification /disjonction, en le relativisant dans un nouveau type de jonction, qui est la boucle productrice. La boucle se génère en même temps qu'elle génère; elle est productrice de soi en même temps qu'elle produit.
3- Pour autant, le paradigme de complexité n'est pas anti-analytique. L'analyse est un moment qui revient sans cesse. L'analyse appelle la synthèse, qui appelle l'analyse, et cela à l'infini dans un procès producteur de connaissances.
4- Le paradigme de complexité n'est pas non plus réductible à une totalité simplifiante et réductrice, à une vision holiste des choses, à un système. Il est à la fois plus et moins que la somme des parties, qu'il intègre et dépasse.
5- Le paradigme de complexité est difficile à penser, parce qu'il intègre des notions disjointes, antagonistes et contradictoires, et dépasse la logique du tiers exclus par une logique à plusieurs entrées et à double foyer (le sujet / l'objet). Comme en physique quantique, le tiers - l'observateur - est inclus et modifie ce qu'il observe, du fait même de sa présence : l'observé est sensible à l'observateur. (Serait-il pudique et se cacherait-il ?, voir l'annexe plus bas) D'où l'irruption des paradoxes et des contradictions au coeur de la pensée complexe. Paradoxes et contradictions qui ne peuvent se résoudre qu'en pensant ensemble, et de façon cohérente et consistante, deux idées contraires. Cela nécessite :
a) de trouver le méta-point de vue qui dépasse et relativise la contradiction,
b) d'inscrire dans une boucle productive l'association des notions antagonistes devenues complémentaires.
6- Le paradigme de complexité introduit le désordre et l'observateur au coeur de la connaissance. Le problème de la complexité est d'intégrer en profondeur l'incertitude dans la connaissance, et la connaissance dans l'incertitude, pour comprendre la nature même de la connaissance. En cela, le paradigme de la complexité est un progrès de connaissance qui réhabilite l'Homme, son imperfection et son incomplétude, en apportant de l'inconnu, de l'inachevé et du mystère au coeur de toute chose. Le paradigme de complexité nous libère de toute rationalisation délirante, qui prétend réduire le réel à de l'idée, et nous apporte, sous forme de poésie, le message de l'inconcevable.
Pile complexe à différence de potentiel variable LE TOUT EST PLUS ... |
|
L'émergence des potentialités, c'est-à-dire la différence de potentiel entre l'instant T0 et T1, dépend naturellement de la potentialité des émergences !
La complexité possède une forme particulière d'humour qui tient à la récursivité intrinsèque de ses termes, qui s'observent comme chien et chat pourrais-je dire, de façon antagoniste et complémentaire. C'est parce que ses assertions sont "complexes", ni vraies, ni fausses, qu'elles prennent cette coloration ambiguë, humoristique et paradoxale, très particulière, d'où émerge toujours une myriade de sens qualitativement différents.
On pourra me rétorquer que je me plais ici à couper les cheveux en quatre ou à enfoncer des portes ouvertes, tant ce genre de subtilités ou cet esthétisme peut être perçu comme sophistiqué et désuet. Certes, mais la porte ouverte s'ouvre toujours un peu plus, et nous dévoile ainsi des perspectives sans cesse changeantes, comme les reflets infinis de deux miroirs parallèles. Nous jouons avec les mots et les mots se jouent de nous ...
C'est à un divertissement pédagogique auquel je vous convie ici en quelques exemples : vous montrer comment construire une phrase complexe, comment tenter d'apprivoiser cet humour ou ce délire si particulier qui émane de ces constructions irrésolues.
Exemple : "La nature de la nature est dans notre nature"
Exemple : "La physique de la nature nous renvoie à la nature de la physique"
Exemple : "Du sujet à l'objet : une distance incroyablement plus courte que prévue, quand la connaissance du sujet vient enrichir le sujet de la connaissance."
1. La connaissance du sujet renvoie en premier lieu à la connaissance de l'objet quand le sujet d'étude en question est un objet de connaissance qui peut nous permettre par exemple de réussir un examen. On a tout intérêt à connaître le "sujet" dans ce cas là.
2. La connaissance du sujet renvoie en deuxième lieu aux objets de connaissance du sujet (personne), c'est-à-dire à sa connaissance des objets, ou, plus simplement, à sa culture générale.
3. La connaissance du sujet renvoie en troisième lieu à la connaissance de sa connaissance, dans une acception réflexive et récursive du terme, et, par induction, à la connaissance des autres, car se connaître et se comprendre soi-même, c'est une façon de connaître et de comprendre les autres.
4. ...vient enrichir le sujet (ici, l'objet d'étude) de la connaissance nous renvoie en premier lieu à un approfondissement de l'objet de connaissance, donc à une connaissance plus précise de l'objet qui vient compléter et enrichir une connaissance précédemment acquise.
5. ...vient enrichir le sujet (ici, la personne) de la connaissance nous renvoie en deuxième lieu à un enrichissement du sujet par la connaissance des objets, et en particulier, des objets de connaissance.
6. ...vient enrichir le sujet (ici, encore la personne) de la connaissance nous renvoie en troisième lieu à un enrichissement de la connaissance de sa connaissance, de façon récursive et réflexive, comme précédemment.
On voit donc que l'on a trois entrées (et peut-être plus encore) en regard de trois sorties, donc une combinatoire de 32 appariements, soit 9 nuances de sens possibles conceptuellement différenciées et complexifiées (ou multiplexées) dans la même phrase. Ces nuances ne sont en fait que les multiples facettes d'une seule et même chose : la Connaissance.
La dialectique sujet-objet est une spirale complexe. Où est le sujet, où est l'objet ? Difficile de les localiser avec précision ... Quand on tient l'un, on perd l'autre ! La phrase nous renvoie à une réflexion récursive en miroir (que je pourrais qualifier de fractale) sur le sujet-objet (ou sur le "moi-je"), qui nous plonge dans un kaléidoscope tourbillonnant de sens s'éclairant les uns les autres de reflets de plus en plus évanescents.
Voici un texte poétique d'Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont, qui ouvre le chant cinquième de ses fameux "Chants de Maldoror".
Il s'agit d'une longue description, volontairement confuse et embrouillée, mais paradoxalement d'une grande clarté et précision, du vol des étourneaux. Comme tout le monde sait, ce sont de petits oiseaux grégaires et migrateurs qui envahissent les soirs d'été les arbres de nos villes et de nos campagnes pour y passer leurs nuits. Ils sont appelés aussi sansonnets, connus pour leurs déjections acides sur le capot de nos voitures, la "roupie de sansonnet".
Cette description tient son caractère poétique de la nature délirante de la forme, qui, en faisant contrepoint au fond de façon admirable, d'une façon à la fois précise et réaliste avec des allers et retours incessants, illustre parfaitement bien la complexité de ce qu'elle décrit.
Nous en ferons ensuite une analyse complexe, en mettant en valeur les différentes parties, leur organisation, et l'émergence du pattern qu'elles mettent en oeuvre : le vol lui même.
Nous nous attacherons enfin à montrer, à travers cette unitas multiplex, comment la complexité de la nature nous amène progressivement à la nature de la complexité. Voici le texte :
"Les bandes d'étourneaux ont une manière de voler qui
leur est propre, et semble soumise à une tactique uniforme et
régulière, telle que serait celle d'une troupe
disciplinée, obéissant avec précision à la
voix d'un seul chef.
C'est à la voix de l'instinct que les étourneaux obéissent, et leur instinct les porte à se rapprocher toujours du centre du peloton, tandis que la rapidité de leur vol les emporte sans cesse au delà; en sorte que cette multitude d'oiseaux, ainsi réunis par une tendance commune vers le même point aimanté, allant et venant sans cesse, circulant et se croisant en tous sens, forme une espèce de tourbillon fort agité, dont la masse entière, sans suivre de direction bien certaine, paraît avoir un mouvement général d'évolution sur elle même, résultant des mouvements particuliers de circulation propres à chacune de ses parties, et dans lequel le centre, tendant perpétuellement à se développer, mais sans cesse pressé, repoussé par l'effort contraire des lignes environnantes qui pèsent sur lui, est constamment plus serré qu'aucune de ces lignes, lesquelles le sont elles mêmes d'autant plus, qu'elles sont plus voisines du centre.
Malgré cette singulière manière de voler, les étourneaux n'en fendent pas moins, avec une vitesse rare, l'air ambiant, et gagnent sensiblement, à chaque seconde, un terrain précieux pour le terme de leurs fatigues et le but de leur pèlerinage.
Toi, de même, ne fais pas attention à la manière bizarre dont je chante chacune de ces strophes. Mais soit persuadé que les accents fondamentaux de la poésie n'en conservent pas moins leur intrinsèque droit sur mon intelligence."
La "multitude d'oiseaux ... allant et venant sans cesse, circulant et se croisant en tous sens" est agitée de "mouvements particuliers de circulation propres à chacune de ses parties" qui aboutissent finalement à ce que "le centre" soit "sans cesse pressé, repoussé par l'effort contraire des lignes environnantes qui pèsent sur lui".
Le but des étourneaux est de "se rapprocher toujours du centre du peloton" car la "tendance commune" est de converger "vers le même point aimanté".
Cette organisation génère la "formation d'une espèce de tourbillon fort agité, dont la masse entière ... paraît avoir un mouvement général d'évolution sur elle même". Cette "manière de voler qui leur est propre, semble soumise à une tactique uniforme et régulière".
Cette émergence se manifeste par "le centre" qui "tendant perpétuellement à se développer" est "constamment plus serré qu'aucune des lignes environnantes, lesquelles le sont elles mêmes d'autant plus, qu'elles sont plus voisines du centre". Il en résulte la formation d'une "troupe disciplinée, obéissant avec précision à la voix d'un seul chef", en fait, "à la voix de l'instinct", mais cette troupe n'arrive pas à "suivre de direction bien certaine" car "la rapidité de leur vol (les étourneaux) les emporte sans cesse au delà (du centre)".
Deux principes maîtres sont à l'oeuvre :
Entre la multitude désordonnée et indisciplinée de la périphérie et la masse compacte, cohérente et ordonnée du centre. En effet, on ne peut avoir l'une sans l'autre.
Entre la liberté de l'individu et le déterminisme de l'instinct.
Entre "les mouvements particuliers ... propres à chacune des parties" et "la tactique uniforme et régulière ... d'une troupe disciplinée".
Entre "le développement perpétuel du centre et l'effort contraire des lignes environnantes".
Deux autres principes en découlent :
Résultat du jeu des complémentarités et des antagonismes.
Résultat de l'ensemble des forces à l'oeuvre. Le tout émergent est fragile, et ne saurait "suivre de direction bien certaine". Il est soumis aux aléas de l'organisation et de ses capacités génésiques, génériques et génératives.
Cette organisation active lie de façon complexe et ambivalente complémentarité et antagonisme:
Il y a donc coexistence de deux rétroactions positives (accroissement du désordre en périphérie, et de l'ordre au centre) qui se provoquent, s'entretiennent, s'inhibent, s'entre-équilibrent, et dont l'association à la fois complémentaire, concurrente et antagoniste, devient régulation et organisation, c'est à dire se transforme en une rétroaction négative, producteur d'un tout incertain (le vol d'ensemble). Cette organisation est également récursive, car elle produit ce qui la produit, c'est à dire le vol lui même. CQFD.
Tout savoir sur le CV
Tout savoir sur la lettre de motivation
Réussissez votre entretien de recrutement
Un professionnel vous aide pour rédiger votre CV et LM
Quelques écrits personnels pour mieux me connaître
Les plus importants sites d'annonces emploi et jobboards
Entreprises, essayez gratuitement des tests professionnels de recrutement
Votre bilan analyse de personnalité gratuit avec CV Conseils
Candidats, exercez vous aux tests de recrutement
Les principaux salons de recrutement
Une sélection de cabinets de recrutement pour cadres